Publié le 24 juin 2020 Mis à jour le 24 juin 2020

Utilisée par les chamans des populations amazoniennes à des fins thérapeutiques, l’ayahuasca s’est fait connaître dans le reste de l’Amérique et de l’Europe pour ses propriétés hallucinogènes mais aussi pour son rôle central dans les pratiques de certains mouvements religieux.


Transe, hallucinations et esprits de la nature, l’ayahuasca a largement dépassé les frontières de l’Amazonie. Son nom – qui signifie « liane des esprits » en dialecte péruvien quechua – renseigne bien sa fonction dans les populations indigènes amazoniennes : échanger et attirer la faveur des esprits par la transe. Désignant à la fois la liane et la boisson, le terme « ayahuasca » ne fait cependant pas l’unanimité : la plante porte environ quatre-vingts noms différents selon les communautés, pourtant il s’agit bel et bien de la même espèce : Banisteriopsis caapi.


La solution est dans la boisson

Traditionnellement, l’ayahuasca est consommée uniquement en présence d’un chaman, qui prend le rôle de médiateur avec les esprits lors du rituel. Celui-ci prépare la liane sous forme de décoction avec d’autres plantes comme l’arbuste Psychotia viridis, qui contient lui aussi des alcaloïdes et agit en synergie avec l’ayahuasca. La consommation de cette boisson permettrait de percevoir la réalité sous un autre angle, de communiquer avec les esprits de la nature et, pour le chaman, de trouver le moyen de guérir ses patients. En interagissant avec les esprits, les chamans peuvent aussi apporter des solutions à des problèmes de la vie courante comme retrouver un objet, voire une personne disparue, réconcilier des amis ou encore un couple.


Une préparation purificatrice

Avant de consommer la boisson, les patients du chaman doivent effectuer une purge et une diète, étapes permettant de purifier le corps et de favoriser le contact avec les esprits.  Isolés dans une cabane, ils consomment des plantes purgatives choisies par les chamans, provoquant vomissements, défécations et sueurs. Débute ensuite l’étape de diète, qui dure sept jours minimum et qui consiste à s’abstenir de consommer de l’alcool, du tabac, des drogues, des médicaments, certains aliments et même d’avoir des rapports sexuels. Après cette étape, le rituel de l’ayahuasca peut enfin commencer : le chaman donne une tasse de la boisson à chacun de ses patients, assis en cercle.


Un rituel enfumé

Lors du rituel, dirigé et contrôlé par le chaman, les premiers effets de la boisson sont les vomissements, considérés comme faisant partie de l’expérience de purification. Puis, les patients sont en général victimes d’hallucinations, que les maîtres de rituels peuvent guider avec des chants. L’ayahuasca contient en effet du DMT (N-diméthyltryptamine), qui modifie la perception et déclenche des hallucinations, en particulier lorsqu’il est combiné avec de la fumée de tabac. Ainsi, le chaman souffle cette fumée sur les patients avant et après les rituels dans le but de favoriser les visions, d’attirer les esprits, de fortifier et de protéger le corps.


Ayahuasca et caoutchouc

L’ayahuasca s’est construit une réputation internationale, en commençant par le reste de l’Amérique lors de la Seconde Guerre mondiale. Lorsque le Japon décide de stopper son exportation de caoutchouc, l’Amérique doit importer cette matière première depuis l’Amazonie. De retour chez eux après la guerre, les travailleurs du caoutchouc rapportent leur expérience de l’ayahuasca : le succès est tel que des « religions ayahuasqueras » voient le jour. Celles-ci placent la plante au cœur de leurs pratiques, comme dans le Santo Daime, qui s’est fait connaître mondialement. Mélange de chamanisme amazonien et de christianisme, ce mouvement spirituel créé par un travailleur du caoutchouc est reconnu au Brésil et même classé patrimoine culturel de la nation.


Le paradoxe de l’ayahuasca

Qualifiée de « diabolique » et « dangereuse » au XVIe siècle lors de sa découverte par les premiers explorateurs espagnols et portugais, cette boisson est aujourd’hui plutôt « en vogue » chez les Occidentaux. En effet, ceux-ci la consomment dans le cadre du tourisme chamanique pour combattre les addictions, les dépressions et certaines maladies. Paradoxalement, elle est crainte chez certaines populations amazoniennes du fait des visions effrayantes qu’elle provoque : la personne qui la consomme est considérée comme courageuse et capable d’exploits.


Outil de communication avec les esprits ou avec les dieux, l’ayahuasca occupe une place importante dans les traditions chamaniques amazoniennes ainsi que dans certains mouvements religieux syncrétiques. Cependant, celle-ci est aussi au cœur d’un important tourisme chamanique, souvent objet de dérives et d’abus.


 

Point culture 

Le cinéma a joué un rôle important en Europe dans la diffusion de l’image de l’ayahuasca comme boisson hallucinogène.

La filmographie de Jan Kounen en témoigne. Après le documentaire D’autres mondes ou encore Blueberry, l’expérience secrète, le réalisateur offre en 2019 Ayahuasca (Kosmik Journey), un film qui propose une expérience en réalité virtuelle permettant de reproduire les effets de la décoction.

Par ailleurs, le film The Last Shaman, réalisé par Raz Degan, permet de mettre en lumière un autre phénomène important relatif aux dérives du tourisme chamanique né autour de l’ayahusaca. Le film met en effet en scène un jeune Européen qui décide d’entreprendre un voyage en Amazonie afin de soigner par cette boisson la dépression nerveuse dont il souffre.