Publié le 10 juin 2020 Mis à jour le 11 juin 2020

Si elle a eu un usage uniquement cosmétique en Italie pendant la Renaissance, la belladone fait aussi partie intégrante des représentations et des mythes européens de la sorcellerie. Ses propriétés, parfois imprévisibles et souvent fatales, sont connues depuis l’Antiquité.


Des pupilles dilatées, un teint rosé… et un arrière-goût mortel. Utilisée depuis l’Antiquité, notamment dans les rites orgiaques de Dionysos, dieu de la vigne, du vin, de la folie et de la démesure, la belladone a surtout marqué l’Histoire par l’usage que les femmes en ont fait. En effet, les magiciennes de cette époque, excellentes herboristes, l’employaient dans leurs remèdes et leurs potions mais aussi dans des rites magiques. L’atropine contenue dans cette plante calmait les douleurs, les spasmes digestifs ou respiratoires et faisait baisser la fièvre.
 

Atropa bella-donna
Atropa bella-donna


Belladone et sorcières : une histoire commune

Cependant, ce sont les rites magiques associés à cette plante qui sont restés dans l’imaginaire collectif. En effet, son pouvoir hallucinogène en faisait une essence très utilisée par les maîtresses et maîtres de cultes, notamment par les sorcières pour la fabrication des fameux onguents « de vol ». Ces derniers étaient appliqués sous les aisselles ou sur une branche d’arbre chevauchée par les sorcières lors de leurs rassemblements. Le contact de l’onguent avec ces parties très irriguées du corps permettait une diffusion rapide du principe actif et donnait aux sorcières le sentiment de voler, mais aussi de voir diables, démons et autres esprits. L’utilisation de ces branches serait à l’origine du mythe européen des sorcières (réactualisé dans la célèbre saga Harry Potter) accompagnées de leur balai. Ainsi, le sabbat des sorcières et ses représentations viennent en réalité d’un délire atropinique associé au principe actif de la  plante.


Beauté fatale

Mais les usages de la belladone ne s’arrêtent pas là : elle fut aussi utilisée en infusion par les femmes italiennes pendant la Renaissance, époque à partir de laquelle la plante perd son caractère de plante magique réservée aux sorcières. Quelques gouttes sur les yeux avaient pour effet de dilater leurs pupilles et de les faire légèrement loucher, ce qui faisait partie des canons de beauté de l’époque. Sous forme de décoction, elle servait aussi à blanchir la peau et à colorer les joues d’un joli rosé. De cet usage vient le nom de belladonna, « belle femme » en italien. Ce nom renvoie aussi à Bellona, déesse de la guerre romaine dont les prêtres et prêtresses, les bellonaires, souhaitant entrer en transe, buvaient le jus de la plante. Ils s’entraînaient à immuniser leurs organismes contre ce poison et arpentaient la ville, vêtus de noir, les jours de fête de la déesse en dansant, se contorsionnant et en mangeant la « cerise enragée » par pleines poignées. Puis, ils s’infligeaient des blessures à l’aide de couteaux et le peuple, pour se purifier, buvait le sang qui en coulait.  Cependant, son nom scientifique Atropa bella-donna attribué deux siècles plus tard, est tiré d’Atropos, une des trois Moires grecques (ou Parques dans la mythologie romaine), qui coupe le fil de la vie que ses deux sœurs ont fabriqué et déroulé.


Une sorcière moderne

Depuis le XXe siècle, la belladone a été progressivement supprimée des préparations pharmaceutiques en raison de ses effets souvent imprévisibles. Cependant, elle a longtemps été utilisée pour, entre autres, fixer l’œil lors d’examens ophtalmologiques, estomper les spasmes avant les interventions chirurgicales, agir sur le système nerveux et le rythme respiratoire mais aussi comme antidote à certains gaz de combats neurotoxiques comme le VX ou le Sarin par les militaires et les scientifiques. À la fois venin et antidote, la dangereuse « Cerise du Diable » est bien à l’image des sorcières !


 

En savoir plus : l'atropine

L’atropine est une molécule présente dans plusieurs plantes de la famille des Solanacées comme la belladone mais aussi le datura, la jusquiame et la mandragore. Au-dessus d’une certaine dose, elle entraîne un dérèglement du système nerveux parasympathique, qui contrôle toutes les activités que l’on fait inconsciemment comme respirer, transpirer et réguler notre rythme cardiaque.

Cependant, la famille des Solanacées regroupe aussi des espèces dont certaines parties sont tout à fait comestibles comme la pomme de terre, la tomate ou encore l’aubergine.


 

Crédits images :

Image 1 : Jardin Botanique Henri Gaussen © SCECCP, UT3

Image 2 : MARTIN LE FRANC, " Le Champion des Dames ", 1440

Image 3 : J.M. STRUDWICK, " A Golden Thread " (details), huile sur toile, 1885. Tate Galerie, Londres.