Publié le 10 juin 2020 Mis à jour le 10 juin 2020

Ingrédient d’importance des rituels magiques et de la culture populaire, la mandragore aura autant fait couler l’encre que les philtres d’amour. La forme humaine de sa racine est mentionnée depuis le Moyen-Âge dans toute l’Europe et l’Asie, bien qu’elle ne pousse qu’autour de la Méditerranée.


Depuis l’Antiquité, notamment en Égypte, la mandragore est reconnue pour ses propriétés aphrodisiaques et narcotiques, c’est-à-dire qui engourdissent la sensibilité et plonge dans un état proche du sommeil. En témoigne la légende de la déesse Sekhmet qui avait en tête d’exterminer les Hommes. Pour contrer ces plans macabres, les dieux concoctèrent à la déesse assoiffée un mélange de bière et de mandragore. Après s’être désaltérée, Sekhmet plongea dans un sommeil profond, épargnant les Hommes. La plante est même citée dans plusieurs passages de la Bible, ce qui participe à son succès dans le monde chrétien. Cependant, c’est surtout à la forme de sa racine, évoquant un corps humain, que la mandragore doit son immense place dans la culture populaire.
 

Mandragora officinarum
Mandragora officinarum
Mandragora officinarum_racine
Mandragora officinarum_racine



Une cueillette ritualisée

Hippocrate, Socrate, Théophraste, Aristote, Pline, Dioscoride… Tous mentionnent la mandragore pour son usage narcotique et analgésique. Cependant, en parallèle de ces préconisations médicales, le protocole de cueillette de la mandragore décrit par Théophraste à l’Antiquité montre que celle-ci est associée à la magie. En effet, il explique qu’il est nécessaire de tracer trois cercles autour de la plante avec une épée et de la découper en regardant vers le levant, puis de danser atour d’elle en prononçant des incantations.
 


À partir du IXe siècle, on l’utilise dans la composition d’une « éponge soporifique », qui sert d’anesthésie avant un acte médical douloureux. C’est aussi à cette époque que le rituel de collecte évolue. En effet, on associe la plante à un petit être humain qui, lorsqu’il est arraché du sol, pousse un cri effroyable qui expose l’arracheur à la folie ou à la mort dans l’année qui suit. La plus grande prudence est donc requise pour s’en procurer et la mandragore devient de plus en plus rare et chère en raison de son rituel de cueillette complexe. En effet, il était conseillé de se boucher les oreilles avec de la cire ou de sonner le cor pour couvrir le cri de la plante. On attachait celle-ci à un chien, que l’on attirait ensuite au loin pour arracher la mandragore et subir la malédiction à la place de son propriétaire. Parfois, on mentionne même la présence d’une jeune fille, qui devait rester près de la plante pour la distraire pendant la cueillette. Cette réputation mortelle tient aussi au fait que l’urine ou la semence des pendus apporterait de la vitalité à la mandragore. Ainsi, les plantes poussant près des gibets étaient très prisées. Plus tard, à la Renaissance, ce sont les sorcières qui participent à alimenter la réputation magique de la mandragore.


Sorcières et solanacées : une histoire commune

En allemand, le mot « Alraun » signifie à la fois « mandragore » et « sorcière ». En effet, leur histoire est étroitement liée : pendant la Renaissance, époque de la chasse aux sorcières, les détenteurs ou les vendeurs de mandragores pouvaient être condamnés au bûcher. Avec d’autres plantes de la famille des solanacées, la mandragore entre dans la composition des fameux onguents de sorcières utilisés pour entrer en transe. En effet, tout comme la belladone, la mandragore appartient à cette famille riche en alcaloïdes, notamment en atropine, une molécule hallucinogène. Mais la ressemblance entre la mandragore et la belladone n’est pas que chimique. Dans certaines éditions de ses livres, le naturaliste Carl von Linné décide de nommer la mandragore Atropa mandragora, en raison de sa ressemblance avec la belladone, Atropa bella-donna.


Une plante très choyée

Depuis le Moyen-Âge, la mandragore est davantage représentée sous des traits humains que sous sa véritable forme végétale, et ce même dans les premiers herbiers imprimés. On précisait même parfois le sexe de la mandragore grâce à la forme de sa racine. Fabriquées dans des racines de mandragore, de petites statuettes auxquelles ont donnait une apparence humaine étaient installées dans des boîtes ornées de tissus précieux. Leur donner à boire et à manger apporterait richesse et pouvoir pour qui saurait en prendre soin. En plus de toutes ces attentions, du millet était parfois semé pour donner une sorte de pilosité à la racine, la rapprochant encore un peu plus d’une forme humaine. En Provence, la racine de mandragore était aussi utilisée en tant que talisman ou porte-bonheur permettant de doubler chaque jour l’argent mis sous sa protection. Cependant, il est surprenant de constater que la mandragore était très reconnue et prisée dans les régions où elle ne pousse pas. En effet, celle-ci ne se développe qu’autour de la Méditerranée et est ainsi absente dans une grande partie du territoire français où elle est pourtant fréquemment mentionnée et très prisée. Ainsi, elle fut l’objet de multiples contrefaçons, notamment à l’aide de la racine de bryone dioïque (Bryonia dioica), beaucoup plus répandue en France que la mandragore.
 


Aujourd’hui, les principes actifs de la mandragore – essentiellement l’atropine et l’hyoscyamine - sont encore utilisés dans certains médicaments pour traiter les spasmes, les coliques ou en pré-anesthésie.

Mi-végétal, mi-humain, à la fois mythe et espèce botanique, promesse de richesse ou d’amour mais aussi mortelle, les multiples facettes de la mandragore sont parvenues à traverser le temps et les frontières.


 

Point culture

La mandragore a laissé derrière elle une quantité impressionnante de mythes, même dans les régions où elle ne poussait pas. Aujourd’hui encore, la littérature, l’art et le cinéma s’approprient le mythe de cette petite plante d’apparence humaine.


Dès qu’il est question de magie, la mandragore n’est jamais bien loin : les sorcières s’en emparent dans des séries télévisées comme Charmed ou Les Nouvelles Aventures de Sabrina. Elle est mentionnée dans les jeux vidéos comme Bayonetta et les mangas dans Flying witch, toujours associée à la sorcière et la magie.


Mais cela n’a pas toujours été le cas : dans La Mandragore, une pièce burlesque de Nicolas Machiavel qui rencontra beaucoup de succès au XVIe siècle dans le théâtre populaire italien, la mandragore désigne non pas un petit être mais bien une potion permettant d’augmenter la fécondité. Cette pièce fut adaptée au cinéma au XXe siècle et inspira aussi un conte de La Fontaine qui porte le même nom. En 1967 dans Vendredi ou les Limbes du Pacifique, Michel Tournier fait de la mandragore un outil de transition de l’humain au végétal pour son personnage Robinson Crusoé.


Dans la bande dessinée Aliénor Mandragore où le personnage principal a le don de trouver les racines de mandragore, elle est même souvent utilisée comme symbole dans les chansons. Comics, dessins animés, bijoux, cosplay… La mandragore donne aussi des scènes culte du cinéma notamment dans le film Le Labyrinthe de Pan où elle aide à reprendre des forces et dans la saga Harry Potter, où elle est de nouveau représentée sous la forme d’un petit être humain au cri mortel.



Crédits images :

Images 1 et 2 : Jardin Botanique Henri Gaussen © SCECCP, UT3

Image 3 : Manuscrit Tacuinum Sanitatis, Bibliothèque nationale de Vienne, v. 1390.

Image 4 : Johannes von Cuba, Gart der Gesundheit, Mayence, Peter Schöffer, 1485.